Les programmations hors-champ se proposent de prolonger le voyage à travers le cinéma lusophone. Ouvertes à tous et gratuites, ces rencontres avec des professionnels offriront un nouvel éclairage sur le panorama portugais.
Le cinéma de Manoel de Oliveira – Conférence par Jacques Lemière – Jeudi 15 Mars à 10H – Au Château de l’Hermine*
« Manoel de Oliveira, parce que venu des origines profondes du cinéma muet, parce que grandi dans le cinéma classique et parce qu’ayant mené au plus loin la pensée de ce qu’il appelait sa « lutte contre la fatigue du cinéma », était spécialement armé pour ne pas rester prisonnier d’un style et pour trouver ses solutions propres »
Jacques Lemière
Docteur en sociologie et anthropologie, agrégé de sciences sociales, Jacques Lemière a écrit de nombreuses publications sur Manoel de Oliveira. Il présentera ici les œuvres majeures du cinéaste.
Un panorama du cinéma portugais – Conférence par Jacques Lemière – Jeudi 15 Mars à 14H30 – IUT – Amphi A en partenariat avec l’UTA*
Cette conférence se donne pour objectif d’éclairer l’exemplarité et la singularité de la contribution du Portugal à l’art du cinéma, celle d’un pays européen d’ancienne et grande civilisation, mais petit pays où le cinéma ne saurait trouver l’espace d’une industrie. On pourra alors explorer quelques questions, comme les suivantes, et d’autres, sans doute, encore …
Qu’est-ce que ce paradoxe entre une reconnaissance puissante sur la scène internationale et un certain exil intérieur, pour cette cinématographie confrontée, dans son propre pays, à une situation faite de distance à ce cinéma de la part des cercles dirigeants, en même temps que de fermetures de salles, et de domination, dans la fréquentation de ces salles par le public, de films de divertissement, et plus américains encore qu’européens ?
Comment les débuts du cinéma au Portugal, pris dans l’histoire politique du pays (une courte et instable 1ère République parlementaire, de 1910 à 1917, une dictature militaire à partir de 1926, qui ouvre, jusqu’en 1974, la longue nuit nationaliste et autoritaire de l’Etat nouveau de Salazar), ont-ils produit, dès le temps du muet, une voie artistique, au sein de laquelle s’est détachée des formes cinématographiques utiles aux intérêts idéologiques du régime la figure dissidente de Manoel de Oliveira (1908-2015), dont l’oeuvre, ouverte en 1930, atypique dans ses temporalités comme dans ses caractéristiques propres, restera, jusqu’à sa mort, et reste encore, un précieux « sur-moi » pour le cinéma portugais contemporain ?
Quelle fut dans les années ’60 la forme portugaise du renouveau cinématographique mondial d’alors, qui prit là-bas (et avec Manoel de Oliveira déjà là, comme point d’appui de résistance esthétique et éthique), dans un cadre de maintien de la censure en même temps que d’aiguisement des contradictions du salazarisme, le nom de cinema novo, autour d’une nouvelle génération de jeunes cinéastes comme Paulo Rocha, Fernando Lopes, Alberto Seixas Santos, Joao César Monteiro, Antonio-Pedro Vasconcelos ?
Comment, à partir de là, dans les conditions nouvelles créées dans le pays par le coup d’Etat « des capitaines » le 25 avril 1974 et par la révolution populaire qui s’en suivit (1974-75, voire 1974-79), qui mirent fin à l’ancien régime et au statut colonial du Portugal, advint pour le monde, dans les décennies ’70 et ’80, la possibilité de se représenter le cinéma portugais dans la forte réputation et dans la marque singulière d’une unique « école portugaise », qui fut plutôt, en réalité, stylistiquement, une construction polyphonique, engageant de surcroît plusieurs « générations » de réalisateurs : celle d’Oliveira, celle du cinema novo et de son entourage (Antonio Reis et Margarida Cordeiro, Antonio Campos), puis celle qui émergea à la réalisation après le 25 avril 1974 (José Alvaro Morais, Joao Botelho, Jorge Silva Melo, Joao Mario Grilo) ?
Quelle place prend alors, dans la cinématographie portugaise, la fin de la définition impériale et coloniale du Portugal, et l’interrogation sur une nouvelle définition du pays ?
N’y a-t-il pas eu une incarnation proprement portugaise de la modernité cinématographique de l’Europe des années ’70 et ’80 (Straub et Huillet, Godard, Pollet, Duras, Syberberg, le Wenders du début), à deux repères centraux, l’un avec le couple Reis-Cordeiro (Jaime, achevé juste avant le 25 avril, et engagée juste après, la trilogie du Tras-Os-Montes (Tras-Os-Montes, Ana, Rosa de Areia), l’autre dans le face-à-face du cinéma d’Oliveira avec la littéralité, la théâtralité et la picturalité (surtout identifié pour le regard étranger par Amour de Perdition, 1978, et Francisca, 1981, mais dont la matrice est dès 1963 dans Acte du Printemps ?
Que se joua-t-il avec la génération qui émergea à la fin des années ’80 et au seuil des années ’90, avec des cinéastes (ayant souvent appris le cinéma comme assistants de leurs prédécesseurs, qui furent aussi quelquefois leurs professeurs à l’Ecole de cinéma de Lisbonne, créée par les gens du cinema novo), comme Vitor Gonçalves, Pedro Costa, Teresa Villaverde, Joaquim Pinto, Rita Azevedo Gomes, Manuel Mozos, Joao Canijo, Joaquim Sapinho, ou encore Edgar Pêra ?
Et au même moment, qu’est-ce qui peut faire dire à Paulo Rocha (le Paulo Rocha du grandiose L’Ile des Amours, 1978-82, pas seulement celui des Vertes Années, signal du cinema novo, et de Changer de Vie, dont Reis le poète avait signé les dialogues), reprenant une distinction pasolinienne, que la mort prématurée d’Antonio Reis (1991) est un possible signe de la « fin d’un cycle de vie du cinéma portugais », fin du « cinéma de poésie », et d’un « signal des temps nouveaux », « temps du cinéma de prose, du cinéma de succès désiré par le pouvoir » ? Et comment les cinéastes portugais ont alors, face au risque d’une impasse pour cette modernité, si radicalement épurée, des années ’70 et ’80, relevé le défi de la fin ce « cinéma de poésie » ?
Dans un pays dont le cinéma, dans son histoire, n’a pas connu la même séparation qu’ailleurs entre dimension documentaire et dimension fictionnelle, que se passe-t-il, depuis le tournant du 21ème siècle, et sous de nouvelles signatures, dans la production croissante de films qui s’assument comme cinéma documentaire ?
A ce même tournant du siècle, que se joue-t-il quand, dans un contexte caractérisé par ce qu’il appelle « la crise de la fiction » Pedro Costa saisit (à partir de Dans la Chambre de Vanda, 2000) les opportunités techniques issues de la révolution digitale pour congédier la conception standardisée de la fabrique des films (même dans un pays sans industrie du cinéma, comme le Portugal) avec producteur, acteurs professionnels, équipes et plans de travail ?
Que dire de la capacité de résilience du cinéma au Portugal, manifestée par l’apparition régulière de nouveaux cinéastes (comme Joao Pedro Rodrigues, Miguel Gomes, Joao Salaviza, Pedro Pinho et le groupe de Terratrema) et cette obstination, sensible chez les plus jeunes (100 signataires d’une « Lettre ouverte des jeunes réalisateurs », le 4 avril 2017, soit presque jour pour jour deux ans après la mort de Manoel de Oliveira, et dans le moment de la progressive disparition physique de la génération du cinema novo), à faire des films, longs ou courts, qui ne se situent pas directement dans l’horizon commercial de l’entertainment, ce qui implique, dans la conjoncture aggravée par la crise de 2008, d’affronter des conditions économiques de production affectées par une politique publique du cinéma, sinon défaillante, en tous cas structurellement suspicieuse, depuis un quart de siècle, au Portugal, de la liberté créative de ces auteurs ?
Jacques Lemière – Lille, le 1er mars 2018
La chanson dans le cinéma portugais – Conférence par Agnès Pellerin – Vendredi 16 Mars à 10H – Au Château de l’Hermine*
Parcourant l’ensemble de la filmographie portugaise, depuis l’époque du muet, jusqu’au cinéma contemporain, il s’agit ici d’explorer la présence hétérogène de la chanson dans ce cinéma souvent identifié comme préférentiellement visuel. Au sein de cette production artisanale, longtemps marquée par l’étroitesse de son marché de diffusion national, la dimension sonore met en jeu le partage démocratique de l’expérience sensible cinématographique.
Présentes dès les premiers films – le Portugal ne fait pas exception dans le paysage mondial – les chansons sont d’abord originales et chantées à l’écran ; les comédies portugaises des premières décennies du sonore (années 1930 et 1940), intègrent de nombreux fados, ballades de Coimbra, chansons d’amour, chants ruraux et de travail, marches, etc – parfois passés à la postérité. Dans ce pays où la culture de masse s’est développée dans un contexte de dictature, la chanson prend parfois au cinéma des connotations idéologiques particulières. Elle aurait selon certains cristallisé la représentation fantasmée d’un peuple naïf et heureux, épris de divertissement, d’intrigues sentimentales, et ainsi détourné des questions politiques.
A partir des années 1960, la nouvelle vague du Cinema novo se positionne en rupture avec ce paradigme « populiste », dans un geste d’innovation créatrice, explorant de nouvelles pistes de présence sonore, ou même, laissant une large place au silence.
Autour de la Révolution des œillets de 1974 et dans les décennies suivantes, les cinéastes s’emparent des nouvelles formes de la chanson d’intervention, promesse d’émancipation sociale et politique. En parallèle, un renouvellement de l’utilisation des chansons s’opère : plus souvent préexistantes aux films, elles deviennent musique d’accompagnement off, parfois sous la forme de courtes citations (João Botelho). De nombreux exemples tirés des œuvres de cinéastes internationalement reconnus, permettent d’explorer différentes facettes de la chanson dans le cinéma portugais, en fonction de leurs thématiques et de leurs modes d’insertion dans les films : subversion (João Cesar Monteiro), mémoire (Manoel de Oliveira), oralité (Paulo Rocha), déracinement (Pedro Costa), objet fétiche (João Pedro Rodrigues), collecte du réel (Miguel Gomes).
Les enjeux historiques et sociaux de cette circulation chantée marquée par la diversité et des influences cosmopolites, permettent ainsi d’aborder autant le cinéma « d’auteur » que les remakes grand public de ces dernières années.
*Conférences organisées dans le cadre d’un stage sur inscription auprès de Cinécran, dans la limite des places disponibles. 02 97 63 67 73 // contact@cinecran.org
Carte Blanche à R.A.P.A.C.E. – Sélection de courts-métrages – Vendredi 16 Mars à 18H30 – Au Cinéville Garenne
En Bretagne, il n’y a pas que la mer qui monte… le cinéma aussi ! Si la région témoigne d’une riche production professionnelle, elle révèle également tout un vivier de créateurs qui s’autoproduisent, souvent dans un cadre associatif. Une sélection de cette production à part entière est présentée par l’association Courts en Betton, notamment organisatrice du Festival du film de l’Ouest.
Cette projection sera suivie le lendemain d’une réunion avec le collectif R.A.P.A.C.E. (Réseau des Associations de Production Audiovisuelle et de Cinéma Émergent) à 14h30 au Château de l’Hermine (ouverte aux associations de production et acteurs de l’autoproduction en Bretagne, informations à l’accueil). Gratuit sur inscription : coline@courtsenbetton.com
Liste des courts-métrages présenté : La Stratégie du Butor – par Alexandre Requintel – 2017 – 14 min 59, Je n’aurais pas du manger le chat – par Matt Mandibul – 2014 – 6 min, La douzaine – par Marine Riou – 2015 – 11 min, La ville s’endormait – par Thibault Le Goff et Owen Morandeau – 2015 – 18 min, Les Mohicans – par Yannick Orveillon – 2015 – 7 min, La Fuite – par Damien Stein – 2017 – 7 min 21.
Plus d’informations : courtsenbetton.com
Rencontre avec Gérard Fourel (Photographe de l’exposition) et Marc Weymuller (Réalisateur de la vie au loin) – Dimanche 18 Mars à 13H – Au Château de l’Hermine
Par hasard, j’ai retrouvé un recueil de photographies prises dans le Barroso qu’on m’avait offert, il y a des années. Il s’agit de portraits d’individus ou de groupes : des enfants, des femmes et des hommes, des familles. Certaines images laissent deviner un fragment de décor, toujours très austère.
Ces photographies semblent surgir d’on ne sait où. Elles renvoient à un passé sans époque, un récit sans histoire. J’ai fini par trouver une date, à côté du nom de l’éditeur : 1986. Plus de 20 ans. Les enfants qui apparaissent dans ce livre ont grandi, et aujourd’hui, ils sont devenus des adultes. Les parents ont vieilli et sont maintenant des vieillards, et les vieillards, quant à eux…
Dans ce livre, on ne voit jamais de paysage, à l’exception d’une photographie qui montre un petit village au bord d’un lac, avec des montagnes à l’horizon. C’est pour cela que j’ai voulu me rendre là-bas : pour traverser les paysages que ce livre gardait au secret.
Marc Weymuller à propos de sa rencontre avec les photographies de Gérard Fourel
Leçon de Cinéma suite à la projection de Tabou – Par Pierre Guivarch – Dimanche 18 Mars à 14H – Au Cinéville Garenne
Au premier visionnage de Tabou, il faut se laisser porter par sa poésie et la forme audacieuse de son récit. Le film de Miguel Gomes fait partie de ces œuvres qu’on peut revoir et qui, chaque fois, dévoilent de nouvelles facettes d’elles-mêmes. Tabou aborde à la fois l’histoire du Portugal (de l’époque coloniale à nos jours) et l’histoire du cinéma (l’enfance de cet art, mais aussi les clichés qu’il véhicule, les rêves et les mythes qu’il engendre). Dans le Lisbonne d’aujourd’hui, trois femmes, Pilar, Aurora et Santa incarnent, chacune à leur manière, ces histoires.